
Analyse des sujets de questions contemporaines du concours commun 2019
Les sujets de l’épreuve de questions contemporaines du concours commun 2019 sont :
– Faut-il tout dématérialiser ?
– Les institutions démocratiques peuvent-elles reposer sur le secret ?
Quelques réflexions et enseignements sur les sujets proposés :
Méthodologie de la dissertation et de l’analyse de sujet
La première chose qui m’a frappé en lisant les sujets de cet année, c’est la manière dont ils ont été formulé. Le sujet sur le numérique commence par « Faut-il … ? » et le sujet sur le secret est de manière indirecte un sujet du type « Peut-on … ? »
Ce type de formulation est typique des sujets de philosophie de terminale, et nécessite, pour ne pas faire de hors sujet (ou de traitement partiel du sujet) de bien analyser ces deux intitulés de questions, en particulier sous leur double sens : « Faut-il » veut dire à la fois « Est-il nécessaire … ? » et « Est-il moral … ? » ; « Peut-on » veut dire à la fois « Est-on capable … ? » et « A-t-on le droit … ? ».
A mon sens, la formulation des sujets est un signe que le jury du concours ne souhaite pas désavantager les candidats de terminale par rapport aux candidats de niveau bac+1 ou les candidats ne faisant pas de prépa par rapport aux candidats issus de prépa. Un candidat sérieux de terminale, ayant assimiler la technique de dissertation en philosophie me semble parfaitement armé pour analyser et problématiser les sujets. L’étape de problématisation du sujet étant la plus importante pour obtenir une bonne note, il me semble que c’est un bon signe pour tous les candidats travailleurs et sérieux 😊
un sujet « classique » et un sujet plus « complexe »
Le deuxième élément que je retiens est la présence d’un sujet « attendu » et d’un sujet un peu plus complexe (en apparence). Les thèmes de culture générale ou de questions contemporaines comportent généralement des types de sujets « classiques ».
C’est le cas du sujet portant sur le thème du secret cette année. Le rôle paradoxal du secret dans le fonctionnement des démocraties était le thème central et attendu cette année. Lorsque je vous avais proposé des idées de sujets pour préparer le concours sur le thème du secret, je vous avais d’ailleurs proposé deux sujets à travailler sur l’articulation entre secret et démocratie.
Le deuxième sujet en revanche, paraît un peu plus « complexe » de prime abord, et en tout cas moins facilement abordable.
Généralement, les candidats (en particulier les moins bons candidats) s’orientent vers les sujets « simples » ou « classiques ». Il devient donc plus difficile de « sortir du lot » quand on choisit un sujet simple. L’autre danger est aussi de choisir un sujet a priori « simple » et de partir vite sur un plan en analysant pas assez le sujet et donc de passer sur certains aspects (c’était un risque important cette année, voir mon analyse du sujet plus bas).
Vous l’avez compris, je conseille généralement de s’orienter vers le sujet « complexe » 😊
Des sujets qui permettent un « échelonnement » des notes.
Le troisième enseignement que je tire des sujets du concours commun 2019, est qu’ils permettent un échelonnement des notes en termes de correction, avec 3 catégories de copies :
- Un premier tiers de copies pour lesquels l’analyse du sujet n’est pas suffisante, en particulier l’analyse des double sens inclus dans la formulation, mais aussi l’analyse, la définition des autres termes. Comment problématiser le sujet « Les institutions démocratiques peuvent-elles reposer sur le secret ? » sans interroger les aspects juridiques qui régissent/réglementent/définissent une démocratie. Une démocratie repose en partie sur le secret. (Peut-on parler de démocratie si le vote n’est pas secret ?). Dans ces cas-là, votre copie a de forte chance d’être en deçà des attentes au concours et de se voir attribuer une note inférieure à 8/20 au mieux.
- Un deuxième tiers de copies ayant analysé le double sens des questions, défini et problématisé le sujet, de manière correcte, avec un plan basique (oui / non) etc. Vous vous trouverez alors dans le troupeau des candidats lambda, avec une note de 8/20 à 12/20
- Un troisième tiers de copies émanant de candidats ayant fait une analyse poussée et complète des sujets. Je trouve que les sujets proposés provoquent assez facilement des décalages entre un candidat normal et un bon candidat. Sur les deux sujets proposés, voici selon moi les deux termes qui vous permettaient de faire réellement la différence et sur lesquels il fallait insister et baser votre réflexion et votre problématique :
Faut-il tout dématérialiser ?
Le mot qui fait toute la différence est le mot « tout ». Le sujet ne demande pas s’il faut encourager ou limiter la dématérialisation. L’enjeu porte plutôt sur la manière de définir ce qui doit ou ne doit pas être dématérialisé. Et c’est là que le sujet devient intéressant. Comment définir concrètement les modalités et les choix en termes de dématérialisation ?
Les institutions démocratiques peuvent-elles reposer sur le secret ?
A mon sens, le terme important et qui risque d’être oublié est le terme « institution ». La définition sociologique d’une institution est une structure qui tend ou qui vise à se reproduire. Si le fonctionnement démocratique tend à promouvoir des principes de transparence en termes de fonctionnement des institutions, la logique même des institutions (leur propre survie/reproduction) les pousse à adopter des comportements ou des stratégies contraires à leur missions initiales. C’est là tout l’enjeu du sujet. La démocratie est un système politique qui est constamment en tension entre le respect de ses principes et sa nécessaire « survie » face à d’autres logiques.
Les deux thèmes au programme de l’épreuve de questions contemporaines du concours commun des Instituts d’Études Politiques sont « le secret » et « le numérique« . Je vous propose de faire dans cet article un tour d’horizon de 5 erreurs à éviter dans votre dissertation sur le thème « le numérique ».
1) Erreur n°1 : Ne pas évoquer les aspects techniques de la « révolution » numérique.
Le niveau d’exigence du concours des Instituts d’Études Politiques demande aux candidats d’apporter une réflexion détaillée et en profondeur sur le thème abordé. La difficulté du thème « Le numérique » réside dans le fait qu’il est sujet à de nombreuses évolutions techniques très récentes et qui n’ont pas encore toutes été documentées par l’ensemble des disciplines académiques.
Sur ce thème, il sera donc nécessaire de détailler les principales innovations technologiques liées au numérique, en expliquant d’une part, leur fonctionnement de manière synthétique, et d’autre part les impacts concrets et réels qu’elles peuvent avoir.
Je vous conseille de préparer des fiches résumant ces deux aspects (expliquer la technologie en détail, et les impacts qu’elle engendre). Voici quelques exemples de fiches à réaliser :
le Big Data, l’intelligence artificielle (ou plutôt les intelligences artificielles), le deep learning, l’internet des objets et les objets connectés, le Cloud etc.
Si vous ne le faites pas, le jury risque de penser que vous réalisez une dissertation généraliste, portant sur les objets que vous n’avez pas vraiment étudié.
2) Erreur n°2 : Se focaliser uniquement sur les aspects techniques.
Un risque important du thème « Le numérique » concerne le fait de se focaliser exclusivement sur les innovations techniques et technologiques. Il convient de garder à l’esprit que l’épreuve du concours commun est une épreuve de questions contemporaines et non pas une épreuve de spécialité. Il est donc au moins aussi important de remettre les innovations techniques du numérique dans les grands enjeux et débats de société, que de se focaliser sur l’innovation étudiée en elle-même.
Pour faire clair, le jury du concours ne vous proposera pas un sujet sur le fonctionnement du Big Data. En revanche, il peut être amené à vous proposer un sujet qui devrait (si vous l’avez analysé correctement) vous amener à développer des réflexions sur notre liberté (de choix, de pensée…) à l’heure où des technologies (dont le big data) peuvent modéliser et prédire nos choix ou nos comportements.
La difficulté de l’épreuve provient du fait qu’il faut trouver le bon niveau de maille entre d’une part le fait de montrer au jury que vous maitrisez le fonctionnement des technologies et innovations du numérique (sans pour autant l’assommer de détails), et d’autre part le fait de montrer que vous savez replacer les impacts et enjeux dans une vision plus macro (les grands débats politiques et de société).
3) Erreur n°3 : avoir une vision manichéenne des évolutions engendrées par le numérique.
Le thème du numérique est sujet à de nombreux articles journalistiques, ou reportages. D’une manière générale, il vaut adopter une distance critique envers l’actualité de ce thème. On trouve en effet beaucoup d’articles pointant les dangers du numérique (je vous invite à faire une recherche Google sur les dangers du numérique par exemple). On en trouve également beaucoup sur les innovations technologiques et ce qu’elles apportent (en particulier de la part de fan, et d’entreprises « spécialisées » dans le numérique).
Je vous déconseille fortement d’exprimer un seul de ces points de vue dans votre copie le jour du concours. Vous risqueriez d’être fortement pénalisé (et à juste titre) par votre correcteur. On attends en effet du candidat qu’il prenne de la hauteur par rapport aux débats de la presse et de l’actualité, et qu’il puisse synthétiser différentes visions ou point du vue pour éventuellement développer une opinion propre.
Je vous conseille également de ne pas vous inspirer de ce clivage pour réaliser votre plan. C’est en effet le type de plan à éviter fortement puisque beaucoup de candidats, spécialement les candidats les moins bien préparés, utiliseront un plan de ce type, même s’il n’est pas adapté au sujet. Si vous souhaitez des conseils sur le plan Sciences Po, je vous recommande de lire mon article traitant de ce sujet.
4) Erreur n°4 : ne pas replacer les débats liés au numérique aux grands enjeux humains (éthiques, sociaux, économiques, philosophique ou politiques…)
L’épreuve de questions contemporaines n’est pas une épreuve d’actualité pure ou de spécialité. Un bon candidat devra être en capacité d’allier plusieurs qualités :
Les enjeux du thème du numérique sont à mon sens de plusieurs ordres :
5) Erreur n°5 : oublier l’actualité du thème du numérique.
J’ai répété plusieurs fois dans cet article qu’il faut se détacher de l’actualité, et surtout de ses débats polémiques. Il ne faut néanmoins pas l’occulter totalement. En effet, le thème du numérique étant relativement récent, il suscite des actualités importantes à prendre en compte. On peut citer par exemple la mise en place du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) en mai dernier.
L’actualité est également un bon moyen de fournir des exemples illustrant certaines de vos idées et arguments. Si vous discutez par exemple de l’impact du numérique sur la valeur de l’égalité dans nos société, vous pouvez évoquer les débats d’actualité sur la neutralité du net aux USA.
Une caractéristique importante du thème du numérique, et qui peut vous permettre de sortir d’une réflexion articulée uniquement sur les aspects positifs vs les aspects négatifs du numérique, est également le sujet de la réglementation de la sphère du numérique. Le numérique (ses acteurs, ses technologies etc.) se sont développés en grande partie en dehors (voire en rejet) des lois et règlements, ce qui est à la source de nombreux des dangers du numérique.