Je vous propose aujourd’hui un article d’un format un peu nouveau sur ce blog. Il consiste à aborder l’un des thèmes de l’épreuve de questions contemporaines du concours commun des IEP de province via un angle thématique, celui du point de vue de l’économie.
Le thème « Le secret » est a priori un thème qui est plutôt analysé ou évoqué par des disciplines comme la science politique (par exemple, via les ressorts du pouvoir), la littérature (voir à ce sujet mon article sur les références sur le thème du Secret) ou la sociologie. L’économie permet néanmoins, via quelques concepts et modèles simples d’illustrer des arguments sur le thème du Secret.
Je suis personnellement passionné de sciences sociales, et en particulier d’économie, et je ne peux que vous recommander d’utiliser des références tirées des théories économiques qui permettent généralement d’illustrer des arguments de manière percutante et originale. Pour la petite histoire, c’est ce que j’ai fait dans ma copie de culture générale au concours d’entrée de Sciences Po Lille (vous pouvez lire la copie ici). Le sujet portait sur les liens entre croyance et savoir et j’avais évoqué par exemple les concepts économiques de rationalité et de rationalité limitée.
L’économie s’intéresse au concept de secret via quelques thèmes bien précis (le secret des affaires, les théories relatives à la propriété intellectuelle etc.). Dans cet article, nous allons évoquer le secret via le thème de l’information et des différents niveau d’informations entre des acteurs différents d’un marché. Ce thème est omniprésent dans la science économique, en particulier chez les théoriciens dits « néo-classiques ».
Le théorème du prisonnier
Cette théorie est extrêmement connue, en particulier des lycéens ayant fait un bac Economique et Social. Elle constitue une manière intéressante de montrer que le non partage d’information (ou, pour être plus précis dans ce cas, l’impossibilité de partage d’une information) entraîne, par le jeu des intérêts et des stratégies individuelles, des situations qui ne sont pas les plus adaptées ou les plus enviables pour l’intérêt général (un économiste dirait des situations « sous-optimales »).
Ce théorème a été développé par Alfred William Tucker, un mathématicien expert de la théorie des jeux, une branche des mathématiques ayant beaucoup d’applications en économie. Ce théorème met en cause deux joueurs (deux prisonnier, que la police interroge séparément) qui ont chacun le choix entre nier et dénoncer/trahir l’autre prisonnier. Le cas est présenté comme suit :
- si les deux prisonnier nient, chacun fera 6 mois de prison.
- si les deux prisonniers dénoncent chacun l’autre, chacun fera 5 ans de prison.
- si un prisonnier dénonce l’autre, il sera libéré et l’autre prisonnier fera 10 ans de prison.
On voit rapidement que, si les prisonniers pouvaient communiquer, ils pourraient facilement s’accorder pour nier en bloc, et écoper chacun de 6 mois de prison. N’ayant pas la possibilité de communiquer, chacun des prisonniers va être amené à dénoncer l’autre, puisque quel que soit l’action de son complice, il est plus intéressant pour lui de dénoncer l’autre (si vous n’êtes pas convaincu à ce stade, je vous invite à regarder la matrice des paiements, de l’article wikipedia consacré à ce théorème).
Cet exemple permet de montrer de manière amusante que le secret peut être préjudiciable à tous, de façon logique. Il peut donc vous aider à argumenter en faveur de restrictions des secrets (position qu’il faudra nuancer 😉 ).
Les asymétries d’information
La science économique a également étudié le secret via son aspect de dissimulation volontaire d’information d’un acteur, vis à vis d’un autre. George Akerlof, économiste américain, a même reçu un « prix nobel » d’économie pour ses travaux sur ce sujet.
Il étudie ce qui se passe lorsque deux acteurs échangeant un bien sur un marché n’ont pas le même niveau d’information relative à la qualité de ce bien. Dans un article célèbre (c’est un des articles d’économie les plus cité au monde), intitulé » The market for « Lemons » « , il étudie le marché des voitures d’occasion et plus particulièrement des Lemons, voitures de mauvaise qualité.

Le vendeur de la voiture connaît bien mieux que les acheteurs potentiels la qualité intrinsèque du véhicule qu’il met en vente. Sur le marché étudié, on trouve donc deux types de vendeurs :
- les vendeurs de voitures d’occasion, qui veulent vendre leur voiture d’occasion au prix « normal » du marché
- les vendeurs de voiture de très mauvaise qualité, qui veulent profiter du prix du marché pour vendre leur mauvaise voiture d’occasion.
La présence de ce second type de vendeur a un effet « pervers » sur les potentiels acheteurs. Ceux-ci deviennent conscients du risque de tomber sur une mauvaise occasion. Une grande majorité de ces acheteurs potentiels va donc soit quitter le marché soit revoir à la baisse leur prix d’achat maximal.
La deuxième conséquence est que les vendeurs de bonne voiture ne vont pas accepter de vendre leur voiture à un prix moindre que leur valeur réelle.
In fine, la conséquence de cette asymétrie d’information, est la destruction/la fin du marché, c’est à dire que les échanges risquent de ne plus se réaliser. On voit donc via cet exemple bien que le secret peut avoir des conséquences néfastes sur les échanges économiques.
Un moyen de lutter contre cet effet pervers peut être la mise en place de contrôles et de normes pour rassurer un certain niveau de qualité des biens vendus. Sur le marché de la voiture, on peut penser au contrôle technique ou aux diagnostics techniques d’électricité ou de gaz pour le marché de l’immobilier.
Le secret peut donc être néfaste pour les échanges, et/ou engendrer des surcoûts pour la société. En parallèle, la présence de comportements de dissimulation d’information pour être un déclencheur, par l’Etat, de mécanisme d’amélioration de la sécurité et de la qualité via la création de normes, de systèmes d’audits ou de contrôle.
L’aléa moral
Le concept d’aléa moral est également un concept mobilisable pour argumenter autour du thème du secret. C’est un effet pervers qui apparaît entre deux parties signataires d’un contrat visant à couvrir un risque. Il est particulièrement présent dans le secteur économique de l’assurance.
Ce concept désigne le fait qu’un individu se comporte différemment lorsqu’il a signé un contrat par rapport à la situation où il n’a pas signé ce contrat.
Par exemple, lorsqu’un conducteur souscrit à une assurance tout risque pour son véhicule, il peut être tenté de conduire de manière plus risquée et dangereuse. Par exemple également, un travailleur peut réduire ses horaires ou son volume de travail lorsqu’il a validé sa période d’essai.
Ce concept d’aléa moral met en évidence des comportements où l’individu souscripteur a intérêt à dissimuler sciemment ses intentions ou son comportement tant qu’il n’a pas signé ce contrat. Le secret est ici une conséquence ou un effet pervers du contrat entre les parties.
Les deux thèmes au programme de l’épreuve de questions contemporaines du concours commun des Instituts d’Études Politiques sont « le secret » et « le numérique« . Je vous propose de faire dans cet article un tour d’horizon de 5 erreurs à éviter dans votre dissertation sur le thème « le numérique ».
1) Erreur n°1 : Ne pas évoquer les aspects techniques de la « révolution » numérique.
Le niveau d’exigence du concours des Instituts d’Études Politiques demande aux candidats d’apporter une réflexion détaillée et en profondeur sur le thème abordé. La difficulté du thème « Le numérique » réside dans le fait qu’il est sujet à de nombreuses évolutions techniques très récentes et qui n’ont pas encore toutes été documentées par l’ensemble des disciplines académiques.
Sur ce thème, il sera donc nécessaire de détailler les principales innovations technologiques liées au numérique, en expliquant d’une part, leur fonctionnement de manière synthétique, et d’autre part les impacts concrets et réels qu’elles peuvent avoir.
Je vous conseille de préparer des fiches résumant ces deux aspects (expliquer la technologie en détail, et les impacts qu’elle engendre). Voici quelques exemples de fiches à réaliser :
le Big Data, l’intelligence artificielle (ou plutôt les intelligences artificielles), le deep learning, l’internet des objets et les objets connectés, le Cloud etc.
Si vous ne le faites pas, le jury risque de penser que vous réalisez une dissertation généraliste, portant sur les objets que vous n’avez pas vraiment étudié.
2) Erreur n°2 : Se focaliser uniquement sur les aspects techniques.
Un risque important du thème « Le numérique » concerne le fait de se focaliser exclusivement sur les innovations techniques et technologiques. Il convient de garder à l’esprit que l’épreuve du concours commun est une épreuve de questions contemporaines et non pas une épreuve de spécialité. Il est donc au moins aussi important de remettre les innovations techniques du numérique dans les grands enjeux et débats de société, que de se focaliser sur l’innovation étudiée en elle-même.
Pour faire clair, le jury du concours ne vous proposera pas un sujet sur le fonctionnement du Big Data. En revanche, il peut être amené à vous proposer un sujet qui devrait (si vous l’avez analysé correctement) vous amener à développer des réflexions sur notre liberté (de choix, de pensée…) à l’heure où des technologies (dont le big data) peuvent modéliser et prédire nos choix ou nos comportements.
La difficulté de l’épreuve provient du fait qu’il faut trouver le bon niveau de maille entre d’une part le fait de montrer au jury que vous maitrisez le fonctionnement des technologies et innovations du numérique (sans pour autant l’assommer de détails), et d’autre part le fait de montrer que vous savez replacer les impacts et enjeux dans une vision plus macro (les grands débats politiques et de société).
3) Erreur n°3 : avoir une vision manichéenne des évolutions engendrées par le numérique.
Le thème du numérique est sujet à de nombreux articles journalistiques, ou reportages. D’une manière générale, il vaut adopter une distance critique envers l’actualité de ce thème. On trouve en effet beaucoup d’articles pointant les dangers du numérique (je vous invite à faire une recherche Google sur les dangers du numérique par exemple). On en trouve également beaucoup sur les innovations technologiques et ce qu’elles apportent (en particulier de la part de fan, et d’entreprises « spécialisées » dans le numérique).
Je vous déconseille fortement d’exprimer un seul de ces points de vue dans votre copie le jour du concours. Vous risqueriez d’être fortement pénalisé (et à juste titre) par votre correcteur. On attends en effet du candidat qu’il prenne de la hauteur par rapport aux débats de la presse et de l’actualité, et qu’il puisse synthétiser différentes visions ou point du vue pour éventuellement développer une opinion propre.
Je vous conseille également de ne pas vous inspirer de ce clivage pour réaliser votre plan. C’est en effet le type de plan à éviter fortement puisque beaucoup de candidats, spécialement les candidats les moins bien préparés, utiliseront un plan de ce type, même s’il n’est pas adapté au sujet. Si vous souhaitez des conseils sur le plan Sciences Po, je vous recommande de lire mon article traitant de ce sujet.
4) Erreur n°4 : ne pas replacer les débats liés au numérique aux grands enjeux humains (éthiques, sociaux, économiques, philosophique ou politiques…)
L’épreuve de questions contemporaines n’est pas une épreuve d’actualité pure ou de spécialité. Un bon candidat devra être en capacité d’allier plusieurs qualités :
Les enjeux du thème du numérique sont à mon sens de plusieurs ordres :
5) Erreur n°5 : oublier l’actualité du thème du numérique.
J’ai répété plusieurs fois dans cet article qu’il faut se détacher de l’actualité, et surtout de ses débats polémiques. Il ne faut néanmoins pas l’occulter totalement. En effet, le thème du numérique étant relativement récent, il suscite des actualités importantes à prendre en compte. On peut citer par exemple la mise en place du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) en mai dernier.
L’actualité est également un bon moyen de fournir des exemples illustrant certaines de vos idées et arguments. Si vous discutez par exemple de l’impact du numérique sur la valeur de l’égalité dans nos société, vous pouvez évoquer les débats d’actualité sur la neutralité du net aux USA.
Une caractéristique importante du thème du numérique, et qui peut vous permettre de sortir d’une réflexion articulée uniquement sur les aspects positifs vs les aspects négatifs du numérique, est également le sujet de la réglementation de la sphère du numérique. Le numérique (ses acteurs, ses technologies etc.) se sont développés en grande partie en dehors (voire en rejet) des lois et règlements, ce qui est à la source de nombreux des dangers du numérique.